Réforme des rythmes scolaires : Bilans et propositions.

La commission des finances et la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a décidé de créer un groupe de travail visant à mener une évaluation de la réforme des rythmes scolaires dans le premier degré. Il s’agit en particulier de déterminer si la réforme a atteint les objectifs qui lui étaient fixés, en matière pédagogique et sociale notamment, au regard de ses conséquences financières pour les collectivités territoriales, l’État et les familles. Ce groupe de travail est composé, pour la commission des finances, de MM. Gérard Longuet et Thierry Foucaud et pour la commission de la culture, de Mme Mireille Jouve et M. Jean‑Claude Carle.
Aussi, dans ce cadre, la CFTC-Enseignement Public et Recherche, représenté par Monsieur Vienne Olivier, Secrétaire Général du syndicat CFTC-EPR et Monsieur Turpin Laurent, Secrétaire Général Adjoint – premier degré – du syndicat CFTC-Education, a été auditionné au Sénat, le mercredi 8 février 2017.
Lors de son intervention, la CFTC-EPR a rappelé qu’elle ne pouvait que souscrire à l’objectif premier de cette réforme des rythmes scolaires qui était d’améliorer la réussite de tous les élèves en se rapprochant de la norme européenne : journées allégées, semaines mieux rythmées, année moins compacte…
Cependant, deux ans après la mise en place de la réforme, la CFTC-EPR constate que la seule grande conséquence de cette réforme est le passage à la semaine de 4 jours et demi ; réforme qui est très loin des ambitions annoncées et qu’elle pèse sur ceux qui la vivent au quotidien.
La CFTC-EPR a notifié à la commission les constats suivants :
- Répercussions sur les conditions et le temps de travail des enseignants:
- Dégradation de leurs conditions de travail : une journée en plus, des déplacements supplémentaires, une fatigabilité accrue, l’impossibilité de rencontrer une personne de leur administration (IEN, Rectorat…), une baisse de l’intérêt pour leur travail, une augmentation des risques psychosociaux, peu de possibilité de rencontrer des syndicats à leurs bureaux…
- Baisse de l’auto formation,
- Augmentation du nombre de jours travaillés pour tous : une demi-journée de plus en présence des élèves (le mercredi matin généralement). Les enseignants se plaignent de ne pouvoir disposer d’une coupure nécessaire pour préparer leur travail. Pour bon nombre, ils ont des réunions le mercredi après midi (animations pédagogiques, conseil de cycles ou de maîtres…)!
- Les enseignants n’ont plus de matinée pour effectuer les diverses démarches personnelles et familiales : se rendre chez un spécialiste médical, prendre du temps pour préparer leur séance, faire une coupure psychologique. On constate sur le terrain de nombreux enseignants fatigués, découragés et n’ayant plus confiance dans le système. Il faut bien souvent attendre les vacances pour gérer des soucis parfois urgents.
- Davantage de déplacement pour se rendre au travail, donc plus de dépenses.
- Pour les enseignants qui ont des pathologies où il leur faut du temps pour faire du sport, se rendre à l’hôpital.
- Crispation des directeurs d’écoles et des enseignants qui voient les services de mairie occuper de plus en plus le terrain, souvent avec des personnels communaux qui sont très loin des préoccupations de sûreté dans les écoles (pour l’exemple, non respect du plan Vigipirate).
- Dilution et confusion des responsabilités, avec des parents qui ne comprennent plus qui est responsable à l’école. Autrefois, le directeur était leur seul interlocuteur.
- Sentiment bien présent chez les enseignants que cette réforme renforce les inégalités. En effet, dans une commune, les élèves apprendront à jouer d’un instrument de musique, dans une autre, ils auront quelques feutres ou un ballon pour s’occuper, et dans une autre, rien !
- Sentiment de malaise dans le corps enseignant qui a l’impression de faire un travail contre-éthique ; ce qui est demandé n’est pas considéré en accord avec les besoins des élèves révélés en classe et jugé préjudiciable au bon fonctionnement de l’école.
- Pour le directeur d’école, la gestion devient parfois périlleuse lorsque les Temps d’Activités Périscolaires se déroulant dans les mêmes locaux et les mêmes temps d’apprentissage avec la gestion supplémentaire du bruit, des locaux, la gestion de la sécurité et de la relation avec les différents acteurs dans un cadre sécuritaire et institutionnel différent… Il faut rajouter parfois la gestion des autres associations qui interviennent dans l’école.
- Répercussions sur les conditions et le temps de travail des élèves :
- Cette réforme ne libère qu’une demi-heure de temps de travail par jour et rajoute une demi-journée de travail au temps de l’élève, sans tenir compte du fait que certains élèves arrivent à l’école le matin très tôt, et ne repartent de l’école que très tard. Ainsi, certains élèves restent à l’école dix heures par jour.
- La coupure de la semaine avec le mercredi matin permettait aux élèves de :
- se reposer et dormir plus tard,
- réviser tranquillement leur leçon, faire des recherches à la médiathèque,
- profiter du lien familial : sortir avec ses parents…
- pour d’autres se rendre dans les associations culturelle, sportive ou cultuelle.
- Dans certaines écoles, les élèves sortent une demi-heure plus tôt le soir : pour certains élèves, les parents sont toujours au travail…). De nombreuses municipalités n’ont pu recruter du personnel compétent, faute de moyens et souvent par manque de personnels formés, diplômés et volontaires, pour encadrer les élèves sur le temps périscolaire. Pour bon nombre, il s’agit d’une simple garderie où les élèves attendent sur un banc leur parent, durant une heure.
- Nous pouvons citer quelques éléments du rapport de l’inspection générale notifiés à Madame la Ministre en Juin 2015 : « … Des interrogations se posent néanmoins sur l’alourdissement des semaines des enfants et parfois aussi sur l’accroissement de la complexité de leurs journées… Concernant l’école maternelle, la réorganisation des après-midi, plus courtes qu’auparavant, a réduit les temps d’apprentissages après la pause méridienne… De très nombreux enseignants et directeurs indiquent une fatigue accrue des élèves, en particulier en fin de semaine – le phénomène commencerait à se faire sentir le jeudi alors qu’avant c’était le fait du vendredi seulement – et surtout en fin de période. Dans un petit département rural d’une des académies de l’échantillon, une enquête a été réalisée auprès des écoles : 80 % d’entre elles répondent que les enfants sont plus fatigués que les années précédentes… »
- Les récréations ont été supprimées dans bon nombre d’école les après-midis. Les élèves n’ont donc plus de moment de détente. De ce fait, les après-midis sont souvent peu propices aux apprentissages.
- Nous reprenons ce qui est notifié par le média Le Monde en date du 11 juin 2016 : « Dans les départements des Bouches-du-Rhône, du Val-de-Marne et de La Réunion, 50 % des effectifs peuvent manquer à l’appel en maternelle ; 20 % en élémentaire. Le mercredi, le taux peut dépasser les 20 %. « Une augmentation de l’absentéisme, si elle se confirmait, serait de nature à remettre en question l’intérêt pédagogique de la réforme », écrivent les inspecteurs. Et de rappeler que le phénomène ne porte pas seulement préjudice aux absents mais à toute la classe, l’enseignant ajustant ses cours et son rythme en conséquence. »
- Les élèves sont en manque de repères. Les comportements dans les classes avec des rituels et des savoir-être bien précis se trouvent brouillés par les activités périscolaires dans les mêmes lieux qui n’ont pas les mêmes exigences et ni les mêmes objectifs. Ce qui est interdit dans un temps, devient permis dans l’autre…
- En maternelle, les après-midis d’une heure quarante-cinq minutes suppriment toute possibilité de nouvel apprentissage, même sous l’approche ludique, sans oublier la sieste des plus jeunes élèves qui empiète généralement sur le temps scolaire.
- Que penser lorsque les élèves qui ont des difficultés restent dans la classe à travailler en Aide Pédagogique Complémentaire et que les autres copains, ceux qui n’ont pas de difficultés jouent au foot-ball, sous les fenêtres, dans le cadre des Temps D’Activités Périscolaires ou rentrent chez eux ?
- Répercussions au niveau des municipalités et des EPCI :
- Pas d’équité sur le plan des Projets Educatifs Du Territoire entre les différentes communes : le préambule de l’appel de Bobigny (qui demandait une unité et une équité éducative sur l’ensemble du territoire) est loin d’être respecté. Le fait que bon nombre de municipalités n’ont pas mis en place un PEDT a creusé les inégalités entre les écoles, entre les familles et entre les élèves de France. On amplifie ainsi la fracture sociale entre les grands centres urbains et les petites villes. Pour confirmer ces dires, je rappelle ici le paragraphe d’une colonne du média Le Monde en date du 15 juin 2016 : « Difficile de gommer le sentiment qu’ont encore bien des parents d’une école « à plusieurs vitesses ». Avec une offre plus riche dans les grandes villes que dans les petites ; des ateliers mieux pensés dans les agglomérations pionnières, comme Paris, que dans celles qui, jusqu’à la date butoir de la rentrée 2014, ont traîné des pieds, à l’image de Marseille. »
- Dans certaines municipalités, l’augmentation du temps de la pause méridienne pour permettre aux les élèves de sortir le soir aux mêmes horaires qu’avant la mise en place des nouveaux rythmes scolaires, ou encore la possibilité de libérer un après-midi par semaine pour les Temps d’Activités Périscolaires (en référence au décret Hamon), n’a pas amélioré la situation : coexistence de deux fonctionnements différents, responsabilités peu lisibles, organisation de la semaine répondant davantage à une logique économique plutôt qu’à une amélioration des conditions d’enseignement – à titre d’exemple, maintien de l’amplitude horaire d’avant la réforme (8h00-16h00) et un après-midi libéré placé le lundi. Où est l’intérêt prôné pour les enfants ? Ce moment est déjà empreint de difficultés. Au vu des coûts, le recrutement de personnels n’a pas suivi. Manque de formation, taux d’encadrement en dégradation.
- Endettement des collectivités pour faire face à la journée supplémentaire et au recrutement du personnel supplémentaire pour les TAP, lorsqu’elles existent.
- Dépendance des crédits nationaux pour le financement des TAP.
- La réalité économique ne permet pas d’appliquer la réforme ; les animateurs ne sont pas formés, ne mettant pas en place des activités mobilisatrices.
- Les TAP lorsqu’elles existent sont occupationnelles mais peu, voire pas mobilisatrices, s’affranchissant souvent des règles de sécurité élémentaire.
- Répercussions sur les associations de quartiers:
- Suppression des activités de loisirs et culturelles du mercredi matin. Les associations nous font part de la baisse importante de fréquentation des enfants dans leurs différentes branches, dues à la fatigue des élèves et à la demi-journée de plus du mercredi matin.
- Répercussions sur les familles et les parents d’élève:
- Baisse du pouvoir d’achat des parents : ces derniers doivent payer les TAP dans de nombreuses municipalités.
- La qualité des services proposés par le personnel des TAP n’est pas à la hauteur des exigences du départ.
- Bon nombre de familles doivent payer une personne pour surveiller leur enfant le soir, ou pour les récupérer à l’école, en fonction des heures d’ouverture décidés par les mairies : par exemple quand l’école est fermée le mardi après midi, ou que l’entrée à l’école le matin se fait à 9h00, horaire où les parents travaillent déjà !
- Difficultés de rencontrer les enseignants pour les parents le soir, car ceux-ci travaillent.
- Répercussions sur le plan économique:
- Baisse du pouvoir d’achat pour les enseignants, donc moins de dépenses et donc moins d’argent qui circule dans l’économie française.
- Davantage de transport, de temps perdu, et donc augmentation de l’empreinte carbone.
Ainsi, la CFTC-EPR a pu exprimer le fait qu’elle a constaté un manque de vision globale sur la gestion des écoles en fonction des petites communes : soit l’école est libre de penser par elle-même, avec à sa tête un directeur qui manage son équipe et qui tient compte de la réalité du terrain, soit on impose nationalement les horaires, les programmes, les TAP.
La CFTC-EPR a insisté sur le fait qu’il est nécessaire d’avoir une logique clairement définie pour tous. Pour l’exemple, la plupart du temps, ce n’est pas l’école qui décide des horaires de l’école mais bien la municipalité, voire l’intercommunalité (pour des contraintes de transports essentiellement) pour toutes les écoles de la commune, sans tenir compte des avis du conseil d’école (réf. texte du conseil d’école).
La CFTC-EPR s’est interrogé, au vu des différents constats, sur la volonté réelle de respecter les rythmes de l’élève en enlevant uniquement une demi-heure par jour et a déclarer, qu’au lieu de rester figé sur le temps de l’enfant à l’école, la nécessité d’appréhender dans sa globalité les rythmes de l’enfant, et de sortir de l’ornière qu’induit la nouvelle organisation du temps périscolaire et de la semaine de travail administrative.
La CFTC-EPR à transmis l’information que les familles s’aperçoivent que les objectifs de la réforme ne sont pas atteint, l’impact sur les apprentissages de leurs enfants est considéré comme négligeable, et a notifié que ce que les familles constatent, c’est bien une différence de traitement entre les enfants, avec dans les beaux quartiers des activités proposées plus abouties et souvent des différences énormes portant sur la gratuité, l’intérêt et la diversité. L’aspect inégalitaire de cette réforme leur parait flagrant. Les enseignants partagent aussi largement cette vision.
La CFTC-EPR a exprimé le fait qu’en réalité, sur le terrain, les effets de cette réforme vont souvent à l’encontre des objectifs visés et rappelé que les supposées expérimentations autorisées par des Inspecteurs Académiques n’ont servi qu’à permettre aux municipalités de cadrer à leurs dépenses dans ce secteur, sans tenir compte des rythmes des enfants.
La CFTC-ERP a fait certaines propositions :
- Pourquoi ne pas prendre en compte véritablement les rythmes de l’enfant : cours chaque matin, l’après midi, activités culturelles, artistiques et sportives encadrées par la municipalité (obligatoire avec la présence d’encadrants formés et un PEDT). Sinon, autoriser chaque école à répartir les horaires sur 4 jours ! Soit on se donne les moyens de mener à bien une politique nationale, soit on laisse aux écoles le soin de remédier aux difficultés rencontrées par les élèves.
- Pour un meilleur pilotage des écoles, l’attribution aux directeurs d’école d’un statut leur notifiant des devoirs mais aussi des droits et des moyens afin de garantir la réussite de chaque élève, en axant ce statut sur la responsabilité des biens et des personnes, le pilotage de l’école, le fonctionnement de l’école. Dans cette optique, il est nécessaire d’enlever le niveau Inspecteur de l’Education Nationale du premier degré pour la prise de décision.
- Afin de permettre aux IEN d’effectuer pleinement leur rôle de formateur, de conseiller et de contrôle, restreindre leurs priorités au pédagogique. Les animations pédagogiques devraient être utilisées à la formation des enseignants, aux remédiations des élèves en difficultés, en mathématiques et en français. Il est important que les IEN puissent réaliser la mise en place de supports et d’outils pour les écoles. Une partie de leur temps devrait être utilisé à l’explication de texte sur la mise en place des réformes, et leurs interventions dans les écoles devrait donner lieu à des séminaires pour accompagner, motiver les enseignants afin de leur redonner cette confiance nécessaire à l’accomplissement de leurs missions.
- L’une des pistes à prendre en compte est la responsabilisation des écoles. Dans cette vision, l’école doit disposer d’une autonomie financière, pédagogique, organisationnelle et décisionnelle sur l’organisation de la semaine de l’élève, des orientations pédagogiques, intégrant le PEDT, en collaboration avec les associations de quartier et celles qui perçoivent des financements publics, sous la responsabilité des directeurs. Le directeur d’école est l’interlocuteur privilégié des familles et doit le rester ; multiplier les interlocuteurs (interventions multiples de jeunes sans diplôme, ni formation lors des TAP) engendre de nombreuses incompréhensions et dissensions.
Un débat s’est instauré sur la mise en place du PEDT, de la place de l’animateur dans cette discussion. Au vu de la forte volonté des animateurs de prendre une place importante dans le dispositif, la CFTC-EPR a rappelé qu’il était difficile de concilier les intérêts de chacun du moment que les lois et règles étaient différentes d’un ministère à un autre, sans concertation au préalable de ces ministères sur le fonctionnement général. Sur le choix du coordinateur de l’action, la CFTC-EPR a rappelé son attachement à la mise en place d’un statut du directeur lui permettant de disposer des moyens d’organiser le partenariat entre l’éducation nationale, les municipalités, les associations, la Jeunesse et Sport.
Au regard des différents éléments exposés, la CFTC-EPR a conclu que la réforme des rythmes scolaires mise en place en 2013 et généralisée en 2014 est loin d’avoir atteint ses objectifs, tant en matière pédagogique et sociale, notamment au regard de ses conséquences financières pour les collectivités territoriales, l’État et les familles.
Aussi, la CFTC-EPR a proposé la possibilité pour les écoles d’adapter la mise en place d’une organisation de la semaine scolaire qui correspond à leur situation. Pour la CFTC-EPR, cela passe par l’autonomie des écoles et la suppression de la contrainte des cinq matinées, la création d’un statut pour la direction d’école et au retour pour l’IEN à un rôle de formateur, d’accompagnateur et de personne ressource pédagogique.
La CFTC-EPR remercie la commission d’avoir été à son écoute. Le rapport final de la commission sera présenté en milieu d’année.
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